Depuis la tragédie de Gaza cet été, les Palestiniens ont mené une activité diplomatique intense. Le point de départ en a été la conviction, pour l’Autorité palestinienne comme pour le Hamas, qu’on ne pouvait plus continuer comme depuis Oslo et qu’il n’y avait rien à attendre de Netanyahou et de ses alliés. La preuve en a été donnée par le sabotage systématique du dernier cycle de négociations menées sous l’impulsion de John Kerry de fin juillet 2013 à fin avril 2014. Netanyahou a empêché la moindre avancée dans les discussions et a multiplié les obstacles, comme l’annonce de construction de nouveaux logements dans des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem (17.000 logements en 2014), puis le refus de libérer le dernier groupe d’une trentaine de prisonniers (dits « d’Oslo ») et enfin l’annonce unilatérale de l’arrêt des discussions.
La riposte de Mahmoud Abbas a été l’annonce en mai de la constitution d’un gouvernement palestinien d’union nationale, qui a prêté serment le 2 juin et a aussitôt été reconnu comme un partenaire valable par l’Union européenne et les Etats-Unis, créant ainsi une situation inacceptable pour Israël, dont la principale carte était précisément la division entre Hamas et Fatah.
Dominique Vidal est convaincu qu’il s’agit de la véritable cause de l’agression contre Gaza : tenter d’empêcher la concrétisation de l’union nationale.
L’enlèvement et l’assassinat de trois jeunes colons le 12 juin ont évidemment précipité les événements. Le gouvernement israélien a alors lancé l’opération « Gardien de nos frères », marquée par l’arrestation de 800 Palestiniens, dont certains avaient été récemment libérés, en Cisjordanie, et la mort de neuf Palestiniens. Le Hamas a riposté par des tirs de rockets, auxquels Israël a répondu à partir du 8 juillet par des tirs massifs sur Gaza, suivis d’une incursion terrestre.
Le bilan est connu : 72 morts israéliens contre 2.140 morts palestiniens, dont 70 % de civils et 500 enfants, 11.000 blessés, des dégâts estimés à 5 milliards de dollars.
Cette catastrophe humanitaire n’a pas empêché Israël et l’Egypte de maintenir le blocus de Gaza et les négociations annoncées n’ont jamais eu lieu.
Netanyahou a ensuite repris les provocations, avec l’annexion de 400 hectares en Cisjordanie, la confiscation de maisons palestiniennes à Silwan et l’annonce de nouvelles constructions dans les colonies, puis la menace de rompre le statu quo en vigueur depuis 1967 sur l’Esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’Islam, confié au Waqf et où les juifs n’ont pas le droit de prier.
Le gouvernement israélien a laissé pénétrer sur l’esplanade des groupes de Juifs extrémistes, affirmant leur volonté de détruire les mosquées pour reconstruire le Temple, provoquant une explosion de violence, avec des attentats à la voiture et l’attaque de la synagogue de Har Nof.
Cette situation a confirmé l’OLP dans sa conviction qu’il fallait sortir du bourbier d’Oslo, du face à face avec Israël, avec ou sans médiateur.
Le but a alors été d’inverser la procédure qui avait mené les accords d’Oslo dans l’impasse, sous la forme d’accords intérimaires, d’ailleurs non respectés par Israël, renvoyant les dossiers majeurs (frontières, capitale, accès aux ressources, réfugiés, etc.) aux calendes grecques.
Avec une résolution du Conseil de sécurité, l’Etat de Palestine aurait engagé de nouvelles négociations, sur la base de la reconnaissance des frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, dans un délai maximum de deux ans, et non plus « le moment venu » (alors que les accords d’Oslo prévoyaient sa concrétisation en 1998 …).
Pour obtenir une telle résolution, deux étapes étaient nécessaires :
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s’assurer de neuf voix pour que le projet de résolution soit inscrit à l’ordre du jour et
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éviter tout veto des cinq grandes puissances.
La plupart des observateurs ont émis des doutes sur une absence de veto des Etats-Unis mais il faut rappeler que Barack Obama n’a utilisé celui-ci qu’une fois, en février 2011, et que le contexte a profondément changé avec la coalition entre Occidentaux et pays arabes face à la montée en puissance de l’organisation de l’Etat islamique.
En cas d’échec, l’Etat de Palestine adhérerait à la Cour pénale internationale et Israël pourrait alors se retrouver sur le banc des accusés.
Dominique Vidal rappelle que cette recherche d’une résolution du Conseil de sécurité faisait suite à une vague de reconnaissances : 134 Etats (sur 193) ont déjà reconnu l’Etat de Palestine. Un premier Etat européen « occidental » (1), la Suède, a reconnu l’Etat palestinien fin octobre. Un phénomène nouveau, celui des « reconnaissances parlementaires », s’est développé avec la Chambre des communes britannique, les parlements irlandais, slovènes, luxembourgeois, portugais, de Wallonie et de Bruxelles, l’Assemblée nationale et le Sénat français, le parlement italien et le Parlement européen, dans une version adoucie.
Il signale la visite à Gaza de Frederica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, et sa déclaration en faveur d’un Etat palestinien avec Jérusalem comme capitale.
Il note que la Commission européenne a haussé le ton sur les questions de la colonisation et des produits des colonies et fait appliquer les « lignes directrices » en saisissant des produits.
Dominique Vidal indique que cette évolution n’est pas tombée du ciel : c’est la conséquence de l’agression contre Gaza, qui a mis en évidence un écart considérable entre les gouvernements, complices d’Israël, et un large mouvement de solidarité (grandes manifestations, ayant rassemblé jusqu’à 200.000 personnes à Londres, extension du mouvement BDS, désinvestissements de fonds institutionnels), y compris dans des pays où les gouvernements étaient nettement pro-israéliens : Royaume Uni, Canada, Australie.
Dans son offensive diplomatique, l’OLP avait trois atouts :
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la politique israélienne elle-même a montré l’inutilité totale du processus bilatéral et l’absence de force porteuse d’un projet de paix en Israël ;
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la mobilisation internationale en faveur de la Palestine lors de la dernière agression contre Gaza, avec un décrochage de l’opinion publique, déjà observé dans les périodes de grande violence contre les Palestiniens (Sabra et Chatila, les deux Intifadas, l’opération « Plomb durci ») malgré une certaine lassitude à l’égard du conflit ;
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la persistance jusqu’ici du gouvernement d’union nationale palestinien. Il n’y a pas eu de rupture malgré des difficultés et l’hostilité du gouvernement égyptien.
Où en est-on aujourd’hui ?
Fin décembre 2014, la première tentative a échoué. La résolution n’a obtenu que huit voix favorables ce qui a rendu le veto américain inutile. Deux pays africains, le Nigeria et le Rwanda, se sont abstenus à la suite de pressions américaines et israéliennes. Deux aspects positifs doivent quand même être notés : la France a voté en faveur de la résolution et le Royaume Uni s’est abstenu, au lieu de voter contre.
Face à cette situation, l’Autorité palestinienne a signé une vingtaine de conventions, dont le Statut de Rome concernant la Cour pénale internationale (CPI). Ban Ki-moon a confirmé que l’adhésion de l’Etat de Palestine à la CPI entrerait en vigueur le 1er avril. La Procureure Fatou Bensouda a annoncé qu’une enquête préliminaire avait été ouverte sur les crimes de guerre commis par l’armée israélienne à Gaza. L’OLP a indiqué que la plainte serait confirmée dès le 1er avril.
Lors d’une réunion à Genève mi-décembre, le rappel de l’obligation pour Israël de respecter la quatrième Convention de Genève dans les Territoires occupés a été approuvé par tous les Etats présents.
Des négociations sont maintenant en cours en vue du dépôt d’une nouvelle résolution. En 2015, le Conseil de sécurité comprend de nouveaux membres plus favorables à la Palestine : l’Angola, la Malaisie et le Venezuela. Le prochain vote sera probablement positif, ce qui contraindra les Etats-Unis à se déterminer.
Quelle que soit l’issue, il y a urgence car la solution bi-étatique risque de s’effacer au profit d’une solution binationale.
Dominique Vidal estime que la solution binationale aurait quatre atouts majeurs :
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Elle serait conforme à un idéal et à des valeurs, qui refusent des Etats fondés sur des bases ethniques ou ethnico-religieuses, avec ses conséquences possibles en termes de « nettoyage ethnique ».
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Cet idéal a des racines profondes de part et d’autre. L’OLP a longtemps été favorable à une Palestine laïque et démocratique. Avant-guerre, un courant sioniste était favorable à une fédération judéo-arabe socialiste, idée ratifiée comme programme par une part importante du Yichouv.
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L’évolution de la situation sur le terrain a de plus en plus imbriqué les deux peuples, avec 600.000 colons juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et 1.500.000 Palestiniens citoyens d’Israël.
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Le cadre binational pourrait apparaître dans ce contexte comme pouvant faciliter la résolution de certaines questions-clés : frontières, capitale, colonies, …
La solution binationale a cependant quatre faiblesses majeures :
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Il s’agit d’abord de la volonté des peuples, avec une radicalisation nationaliste en Israël et une opposition de nombreux Palestiniens, pour qui les Juifs israéliens sont d’abord des militaires et des colons ;
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Il s’agit ensuite d’une question de lucidité politique : l’Etat binational, contrairement à la coexistence avec un Etat palestinien, est perçu par les Israéliens comme destruction de leur Etat, contraire au projet sioniste, donc inacceptable.
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Avec un rapport de force insuffisant, l’Etat binational ne serait-il pas le « Grand Israël », Etat d’apartheid, où la bataille pour l’égalité des droits pourrait durer des siècles ?
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Si les stratégies successives de l’OLP n’ont pas abouti à la création effective d’un Etat palestinien, du moins ont elles convaincu le monde entier du droit des Palestiniens à un Etat. Après tout le travail en faveur des droits des Palestiniens, une renonciation serait inacceptable par l’opinion publique.
Tant qu’une chance de création d’un Etat palestinien subsiste, il faut continuer à se battre. La campagne BDS est un élément de cette mobilisation.
Dans le débat qui suit est d’abord posée la question de la possibilité de création d’un Etat dans un territoire mité, rempli de colonies, occupé par des militaires intégristes. Comment peut-on dans ces conditions laisser un espace vital suffisant aux Palestiniens ? Comment faire sortir les 500.000 colons de Cisjordanie, sachant que les Palestiniens de l’extérieur souhaitent le retour ?
Dominique Vidal indique que les Palestiniens ont compris qu’il n’y aurait pas d’autre solution qu’imposée. Rien n’est irréversible. Tout dépend du rapport de force. Il est possible de transformer des colonies en logements sociaux mais il faut être très attentif à la question des colonies : il y a plus de colons économiques que de colons militants nationalistes ou religieux. Rien ne sera de toute façon possible sans une force armée internationale.